L’intelligence artificielle (IA) redéfinit déjà le recrutement. Principalement intégrée dans les ATS (Applicant Tracking Systems), elle trie les CV, filtre les candidatures et oriente les décisions d’embauche. Ces systèmes sont devenus incontournables : 98 % des entreprises du Fortune 500 y ont recours.
L’IA promet rapidité et efficacité, mais elle soulève aussi des inquiétudes bien réelles : manque de transparence, risque de biais, sentiment d’exclusion pour certains candidats. Employeurs comme chercheurs d’emploi doivent donc apprendre à composer avec cette nouvelle donne, qui change autant les pratiques de sélection que la manière de préparer une candidature.
Les ATS ne se limitent plus à gérer des bases de données de CV. Ils intègrent aujourd’hui de puissants moteurs d’IA qui transforment le premier tri des candidatures. Pour les recruteurs, cela se traduit par un gain de temps considérable, une meilleure standardisation et une réduction apparente de la charge administrative.
Mais du côté des candidats, cela ajoute un filtre invisible qui détermine souvent si leur profil sera vu ou non par un humain.
Et cette tendance n’est pas limitée aux multinationales. Selon une enquête menée par Morgan Philips Canada en 2025, 36 % des organisations québécoises utilisent déjà l’IA dans leur recrutement. On peut s’attendre à ce que ce pourcentage augmente rapidement, à mesure que les PME adoptent des solutions qui intègrent elles aussi des briques d’IA.
La plupart des ATS modernes intègrent trois grands mécanismes d’analyse automatisée.
Le Matching est la fonction la plus connue. L’ATS compare les mots-clés d’un CV avec ceux d’une description de poste. Plus la correspondance est forte, plus le candidat remonte dans la liste.
Un poste de gestionnaire de projet peut par exemple exiger des compétences en planification stratégique et en gestion de budgets. Si le CV contient ces termes, il sera jugé compatible. Cette approche est rapide et efficace pour repérer les bons profils, mais elle peut désavantager un candidat compétent qui n’utilise pas la bonne terminologie.
Le NLP permet à l’IA d’aller au-delà de la recherche de mots-clés. Elle analyse la structure des phrases, le contexte et parfois même le style d’écriture.
Un CV qui mentionne la coordination d’équipe pourra être rapproché de gestion de projet. Cela donne plus de souplesse et peut valoriser des profils autrement ignorés. Toutefois, une mauvaise interprétation de contexte peut entraîner un classement erroné.
Le NLP donne l’impression que la machine « comprend » le CV, mais il reste une lecture statistique, pas une analyse humaine.
Certains ATS intègrent désormais des modèles prédictifs qui estiment la probabilité de succès d’un candidat en fonction de données historiques.
Par exemple, si l’entreprise a historiquement recruté des diplômés d’une certaine université avec succès, l’algorithme peut favoriser ce type de profil. Cela réduit le risque d’erreur du point de vue de l’employeur, mais cette méthode peut reproduire des biais liés à l’âge, à l’origine, au genre ou au statut socio-économique.
Aux États-Unis, le procès Mobley illustre bien les dérives possibles. Derek Mobley, un candidat, affirme avoir été systématiquement rejeté par l’algorithme d’un ATS après avoir postulé à des centaines d’offres. Ses candidatures n’auraient jamais atteint un recruteur humain.
En juin 2025, un juge a jugé la cause recevable et autorisé un recours collectif, demandant à l’entreprise de divulguer la liste de ses clients utilisateurs.
C’est une première historique : la justice reconnaît qu’un algorithme de recrutement peut être mis en cause pour discrimination.
Cette affaire met en lumière deux enjeux fondamentaux. Le premier est le manque de transparence : un candidat ne sait pas pourquoi il est rejeté. Le second est le risque de biais : un algorithme mal entraîné peut écarter systématiquement certains groupes.
Les conséquences ne sont pas seulement légales, elles sont aussi réputationnelles. Une entreprise perçue comme utilisant un processus injuste peut nuire à sa marque employeur.
Pour un candidat, franchir le mur des algorithmes est devenu une étape incontournable. Mais ce filtre technologique ne doit pas être vu comme une barrière infranchissable : il s’agit plutôt d’apprendre à naviguer dans un système où la machine et l’humain coexistent.
Le premier réflexe consiste à adapter son CV aux critères techniques des ATS. Cela implique de privilégier un format simple (Word ou PDF non scanné), d’utiliser les mots-clés adaptés à l’offre et de maintenir un contenu clair et structuré.
Comme les filtres ne laissent pas toujours passer, le réseautage est plus important que jamais. Un contact direct avec un recruteur ou une recommandation peut parfois court-circuiter l’algorithme et garantir que le CV sera vu.
Les candidats doivent aussi investir dans leur visibilité en ligne. Un profil LinkedIn à jour, des publications professionnelles et une cohérence entre CV et présence numérique renforcent la crédibilité. Une marque personnelle forte peut attirer l’attention des recruteurs avant même que la candidature passe par un ATS.
Enfin, au-delà de la candidature immédiate, les candidats doivent actualiser leurs compétences et démontrer une capacité d’adaptation continue. Dans un marché filtré par des machines, ce sont les compétences claires et mesurables qui parlent le plus.
Les organisations doivent comprendre que déléguer le premier tri à l’IA ne les libère pas de leur responsabilité.
Deux principes sont essentiels. Le premier consiste à superviser les outils : paramétrer correctement les ATS, tester leur fonctionnement et vérifier qu’ils n’excluent pas injustement des profils. Le second repose sur la transparence : informer les candidats de l’utilisation de filtres automatisés et leur donner une chance réelle d’être considérés.
Au-delà de l’efficacité, il y a un enjeu d’équité et de réputation. Un processus opaque ou perçu comme discriminatoire peut décourager des talents précieux.
Cette vigilance rejoint une autre réalité RH : celle d’accompagner les personnes lors des fins d’emploi et offrir un service de transition de carrière.
Dans un marché où les candidatures passent par des filtres technologiques, la transition de carrière prend une nouvelle importance. Elle permet d’aider les personnes à adapter leur CV aux ATS, de renforcer leur confiance pour les entrevues humaines et de travailler leur réseau.
C’est une façon de transformer une période d’incertitude en opportunité, en apprenant à naviguer avec assurance dans un marché où les algorithmes et les décisions humaines coexistent.
L’intelligence artificielle s’impose désormais comme un acteur central du recrutement. Elle est présente dans la majorité des grandes organisations et progresse rapidement au Québec.
Elle apporte efficacité et rapidité, mais impose aussi de nouveaux défis. Pour les candidats, il s’agit d’apprendre à optimiser leurs candidatures, à miser sur leur réseau et à développer leur employabilité. Pour les employeurs, il s’agit d’assumer la responsabilité des choix technologiques, de limiter les biais et de préserver la transparence.
L’IA ne remplacera jamais totalement l’humain. Mais elle est devenue une étape incontournable du processus d’embauche. Ceux qui sauront composer avec ces filtres, tout en cultivant l’authenticité et les relations humaines, auront un avantage certain dans ce marché en pleine transformation.